Le mot chique n’a rien d’uniforme. Il a le charme de ces termes populaires aux multiples visages, selon qu’on l’entende dans la bouche d’un ancien marin, d’un enfant du nord, d’un amateur de tabac ou d’un lecteur de romans du XIXe siècle. C’est un mot qu’on mâche, qu’on triture, parfois qu’on crache. Il évoque quelque chose de compact, souvent mis en bouche, avec ou sans élégance.

Dans son sens le plus connu, une chique désigne un morceau de tabac qu’on garde entre la gencive et la joue. C’est un usage qui évoque les quais, les cales, les mains calleuses. On imagine facilement le geste lent d’un homme en train de glisser sa chique, puis de la mâchonner longuement, sans hâte. Ce n’est pas du tout la même chose que fumer. C’est une autre temporalité, une autre manière d’occuper la bouche. Presque un rituel.

Mais le mot chique ne s’arrête pas là. Dans certaines régions, notamment en Belgique ou dans le nord de la France, il désigne simplement un bonbon. Une sucrerie. Rien à voir avec le tabac, donc. Là, la chique est colorée, parfois dure comme du verre, parfois tendre. On la suce jusqu’à ce qu’elle disparaisse. Il y a là quelque chose d’enfance, de goûter, de bruit de papier froissé au fond d’une poche.

Plus surprenant encore : dans d’autres contextes, chique peut aussi désigner un abcès dentaire, une sorte de gonflement, souvent douloureux. Rien de très appétissant, pour le coup. Le mot conserve alors cette idée de masse, de chose enfouie dans la bouche ou le visage. Ce qui frappe, c’est que quel que soit le sens, la chique reste liée à la sphère buccale. C’est une constante troublante.

On peut aussi entendre "faire la chique à quelqu’un", dans le sens de le priver, de lui couper l’herbe sous le pied. C’est une tournure familière, parfois moqueuse. Elle s’est un peu perdue, mais elle a eu sa vie, dans des dialogues vifs, des textes populaires. Là encore, la chique n’est pas un objet, mais une attitude. Un rapport de force symbolisé par la bouche, la parole, l’empêchement.

Et puis il y a cette sonorité, chique, un peu claquante, un peu naïve aussi. Elle rappelle d’autres mots : chic, chiquenaude, chicaner. Elle donne une impression de légèreté, mais peut être mordante. Certains mots ont une texture. Celui-là, on dirait qu’on peut presque le mâcher, justement. Il laisse un goût, une impression, même vague.

Dans les vieux romans, la chique revient souvent. On y croise des personnages qui crachent leur chique avant de parler, ou qui en mâchent une pour se donner une contenance. C’est un détail, mais un détail très visuel, très incarné. On sent l’époque, le lieu, presque l’odeur. Ce petit mot, par sa seule présence, plante tout un décor. On ne le choisit pas par hasard.

Et malgré son âge, chique n’a pas tout à fait disparu. Il survit, ça et là, dans des expressions, des souvenirs d’enfance, ou des usages spécifiques. Il n’est plus courant, non, mais il ne choque pas non plus. Il fait partie de ces mots qu’on n’utilise pas toujours, mais qu’on comprend tout de suite. Et peut-être que c’est ça, la vraie richesse d’un mot : être discret, mais encore plein de vie.