Le verbe haler a une sonorité brute, presque mécanique. Et pour cause : il est d’abord un mot de force, d’effort physique, de tension du corps dans un but précis. Haler, c’est tirer. Mais pas tirer n’importe quoi. On halait des bateaux le long des fleuves, à la corde, à la sueur. Une image d’un autre temps, où les berges étaient des chemins de halage, foulés par des hommes, parfois des chevaux, et une lenteur imposée par l’eau.

Il y a quelque chose de profondément concret dans ce mot. Pas de métaphore, pas d’abstraction. Haler, c’est agir. C’est mettre ses muscles en ligne avec une volonté de mouvement. On imagine les silhouettes penchées, les épaules basses, la corde qui frotte, le pas qui creuse. Ce n’est pas un mot romantique. Il est âpre, utilitaire. Et pourtant, il est devenu rare, presque oublié.

On peut supposer que le mot a survécu dans quelques niches : la marine, certains textes anciens, des chansons parfois. Mais dans le langage courant, on ne hale plus grand-chose. Le monde a changé de vitesse, et les moteurs ont remplacé les bras. Pourtant, haler existe encore, discret. Il n’a pas disparu, il s’est retiré.

Il arrive aussi que le mot soit confondu, ou plutôt croisé, avec un autre usage : celui de haler au sens de bronzer, sous le soleil. Là, c’est un autre verbe, un homonyme. Même orthographe, autre origine. Haler la peau, la rendre brune. Rien à voir avec la traction fluviale. Et pourtant, la confusion est fréquente. Ce double usage crée un flottement qui pourrait presque faire sourire.

Revenir au premier haler, celui des rives, c’est aussi retrouver un vocabulaire lié à un monde lent, physique, et exigeant. Un monde où la distance se mesurait en jours, et où le verbe haler était un verbe noble, presque quotidien. Il faisait partie du travail, il était évident. Aujourd’hui, il sonne presque étrange. Comme un mot exilé.

Certains diront que c’est un mot mort. Mais il suffit de lire les récits de marins, les chroniques des canaux, ou même certaines fictions bien documentées, pour le voir réapparaître. Pas en majesté, non. Plutôt comme une trace, un clin d’œil au réel, une manière de dire que tout n’est pas effacé. Et que certains gestes, même oubliés, laissent des mots derrière eux.

On pourrait presque sentir dans haler une vibration plus large : celle de l’effort collectif. On ne hale jamais seul. C’est un verbe de groupe. Il suppose une coordination, une cadence partagée. Un mot modeste, mais solidaire. Et peut-être que c’est aussi ce qui le rend touchant, malgré sa rudesse.

Alors non, on n’emploie plus haler dans la rue, ni au bureau, ni dans les transports. Mais il continue de vivre, à sa manière, dans des fragments de mémoire, dans les marges des dictionnaires, et dans la voix de ceux qui savent encore ce que c’est que tirer ensemble, vers l’amont.